Elise, une rentière qui bosse

On dit que la vie tient au hasard des rencontres et des décisions déterminantes. Celle d’Elise se joue lors du pot de départ à la retraite d’une collègue, restée toute sa vie au même poste. La jeune femme a environ 25 ans, cela fait déjà six ans qu’elle travaille en tant que secrétaire dans une salle des marchés pour le compte d’une banque. Un métier qui lui convient : pas de responsabilité avec un salaire en conséquence qu’elle assume et des horaires faciles qui lui permettent de ne pas se soucier de l’évolution de sa carrière. Au fur et à mesure, elle perçoit la fatigue, la lassitude et même la tristesse de ses collègues plus âgés. Elle sent que ce n’est pas la vie qu’elle a choisi de mener. Le pot de départ lui sert de déclencheur.

Elise n’a pas de véritable projet, alors comme de nombreux indécis sur leur carrière professionnelle, mais certains que le salariat et la routine ne sont pas faites pour eux, elle se tourne vers l’immobilier. Dans un premier temps, elle garde son emploi à la banque, sésame pour obtenir un crédit auprès de sa banque, et signe son premier compromis de vente. Elise découvre qu’elle a adoré dénicher cet appartement biscornu, négocier pour faire une belle affaire et l’embellir avant de le louer à un prix qui couvre ses mensualités et bien au-delà. L’opération d’achat-revente s’avère fructueuse : une plus-value de 40 000 €, plus que son salaire annuel. Elise fait vite le calcul, elle achète un deuxième bien puis un troisième bien… Le banquier la réfrène dans son projet mais l’histoire ne dit pas comment elle arrive à passer outre sa décision. Aujourd’hui, elle possède quinze appartements en France et à Barcelone notamment.

Elise reconnaît son lot de tracas avec les locataires mauvais payeurs, les travaux de copropriété inattendus et les conflits qui en découlent. Certes, la vie d’investisseur en immobilier n’est pas de tout repos mais elle s’en arrange très bien au regard de la rentabilité de ses opérations. Elise découvre son talent pour dénicher des lieux inédits et les refaire à neuf avec goût sans dépenser une fortune. En 2021, 58 % des ménages français étaient propriétaires de leur résidence principale⁽¹⁾. Contrairement à Elise qui a suivi exactement le schéma inverse des investisseurs. Celui qui consiste d’abord à acheter sa résidence principale afin de faire des économies en vue d’investir dans un ou plusieurs biens locatifs dans un second temps. Son aversion pour le travail en entreprise, dont elle n’épouse aucun code et dont chaque règle ou rapport hiérarchique la rebute, la conduit à faire ces choix beaucoup plus tôt. Au regard de son talent et de son œil pour dénicher la perle rare, elle a fondé une entreprise de conseil en immobilier pour accompagner ses clients dans ce domaine. Trop de contraintes, trop de similitudes avec le salariat, elle ferme son entreprise pour voyager, avoir du temps pour elle, remettre ses soucis à plus tard : son luxe ultime.

La psychologue Marie-Claude François-Laugier revient sur un point qui l’a interpellé dans le discours d’Elise : ce besoin presque vital de “sauver sa peau” comme elle le dit. Au-delà de prendre ses distances avec le monde de l’entreprise, elle voit dans la soif de liberté de la jeune femme, une irrépressible envie de renouer avec son enfance, comme si son activité était plus un jeu qu’un travail. Elise met l’accent aussi sur le fait que l’argent qu’elle gagne de cette façon est plus légitime qu’un salaire plafonné versé par une entreprise. À travers les revenus qu’elle dégage grâce à la gestion de son immobilier, elle se fixe une rémunération qui est une façon pour elle d’évaluer le fruit de son propre travail et de connaître ainsi sa valeur professionnelle. Son indépendance ? Une véritable identité !